L’article 15 .I de la loi du 6 Juillet 1989, dans sa dernière version, restreint la possibilité pour le bailleur de donner congé  dans les termes suivants :

(…) En cas d’acquisition d’un bien occupé :

–    lorsque le terme du contrat de location en cours intervient plus de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur peut donner congé à son locataire pour vendre le logement au terme du contrat de location en cours ;

–    lorsque le terme du contrat de location en cours intervient moins de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur ne peut donner congé à son locataire pour vendre le logement qu’au terme de la première reconduction tacite ou du premier renouvellement du contrat de location en cours ;(…)

Le législateur a introduit un niveau critère visant à restreindre les possibilités offertes à l’acquéreur d’un bien immobilier de donner congé à son locataire : la DUREE RESIDUELLE DU BAIL courant à compter de la date d’acquisition. Autrement dit, de manière implicite, le DELAI DE PREAVIS du congé donné par l’accédant à la propriété est modifié dans un souci récurrent de plus grande protection du locataire.

Le CRIDON de PARIS a publié le 28 octobre dernier un avis sur l’interprétation qu’il convient de donner à ce texte législatif et notamment quant à sa PORTEE, concluant son analyse ainsi :

« Les dispositions relatives aux congés délivrés par les bailleurs ayant acquis un bien occupé visent exclusivement les bailleurs ayant acquis à titre onéreux l’immeuble occupé. Il n’y a aucune raison de faire application de ces textes lorsqu‘un congé est donné consécutivement à la transmission du bien par voie successorale ou par libéralité (donation, legs,…) »

Il s’agit là d’une interprétation ferme et tranchée qui s’appuie sur une analyse argumentaire dont nous nous proposons de détailler d’un point de vue critique les contours :

LES AVANTAGES

  • Le CRIDON a puisé dans les travaux parlementaires et notamment l’amendement CE 586 de Mme Abeille afin de tenter de connaître la volonté du législateur qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Il est patent que le législateur, dans l’esprit du texte, a tenté d’apporter un frein aux appétits d’acteurs institutionnels des groupes financiers accusés de pratiquer « sans état d’âme » des ventes à la découpe particulièrement dans les zones urbanisées où le marché est très spéculatif avec des conséquences négatives sur l’évolution des prix de l’immobilier et des répercussions sociales parfois douloureuses.

Ainsi, sans interdire le principe du congé pour vente sanctuarisé par le droit de propriété, le législateur tente par ce texte d’en limiter les effets en allongeant le délai de préavis pour les opérations immobilières les plus spéculatives.

Le CRIDON a fait appel à une méthode courante d’interprétation de la loi, dite « téléologique », c’est-à-dire reposant tout à la fois sur la finalité sociale du texte et sur le but poursuivi par le législateur pour en déduire que la portée du texte devait être limitée au SEUL ACQUEREUR A TITRE ONEREUX d’un tel bien.

Cette analyse, loin d’être isolée, présente l’avantage de limiter l’application d’un texte particulièrement contraignant en ne visant que le seul groupe ciblé par les travaux parlementaires, sans toutefois être en mesure d’opérer au sein de ce même groupe une nouvelle distinction, plus fine, entre l’acquéreur individuel et l’institutionnel à la recherche d’un « coup » financier. Cette dernière distinction, pour théorique soit-elle, aurait été seule à même d’embrasser fidèlement la volonté du législateur, mais se serait inévitablement heurtée à une censure constitutionnelle certaine pour rupture du principe d’égalité.

Cette interprétation permet également de maintenir la possibilité pour les donataires testamentaires ou successoraux de dégager du crédit dans des délais raisonnables, dans l’hypothèse d’une répartition successorale, et assurer ainsi un partage rapide entre les ayants-droits dont la seule volonté est d’aboutir à la liquidation, sans enjeu spéculatif (puisque, on l’a bien compris, c’est la finance, la spéculation qui sont ici diabolisés).

Enfin, et non des moindres, il s’agit d’un « mauvais » texte qui, dans son esprit, limite un peu plus encore les droits dont dispose le propriétaire sur son bien, déjà mis à mal par la loi de 1989 et ses réformes successives, en ne se positionnant qu’à la seule faveur du locataire qui dicte et imprègne tout le régime des baux d’habitation ; et dans sa forme introduit des zones d’imprécision et une composition hétéroclite ne permettant pas de se référer à une cohérence juridique d’ensemble.

LES INCONVENIENTS :

Ceux-ci s’avèrent aussi nombreux que les avantages :

  • On rétorquera à l’analyse du CRIDON qu’il est particulièrement hardi de transposer l’esprit des travaux parlementaires pour en établir une règle de droit à l’avantage de la clientèle des notaires.
  • On ajoutera qu’un des principes du droit conduit à ne pas distinguer là où la loi ne distingue pas. C’est le sens de l’adage « interpretatio cessat in claris ».

L’interprétation juridique de la loi n’a pas vocation à être systématisée en fonction des seules nécessités économiques, sociales ou circonstancielles. Elle n’est opportune que dans la seule hypothèse où le texte de loi manquerait de clarté ou serait polysémique, obscur ou incomplet, ce qui n’est pas ici le cas. UN TEXTE CLAIR N’A PAS A ETRE INTERPRETE.

A ce titre il est éclairant de se reporter à l’article 711 du Code civil qui dispose que La propriété des biens s’acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l’effet des obligations.

Il existe donc deux modes d’acquisition, à titre gratuit ou bien à titre onéreux, sans que ne s’opère pour autant de hiérarchie ou de distinction, selon le Code civil, entre ces deux modes.

Le recours à une méthode d’interprétation est ici largement abusif et semble davantage répondre à une volonté d’en corriger les effets et en restreindre la portée en vidant la notion d’acquisition d’une partie de sa teneur, et par là même exclure du champ du texte le propriétaire ayant acquis un bien à titre gratuit. (le titre de la lettre du CRIDON substitue à dessein le verbe acquérir par celui de recevoir pour mieux asseoir son argumentaire.

  • Le législateur aurait pu (ou pourrait) modifier ainsi son texte : en cas d’acquisition à titre onéreux, mettant ainsi un terme à toute discussion ; mais il savait sûrement qu’il s’exposerait ainsi à un RISQUE DE CENSURE CONSTITUTIONNELLE pour rupture du principe d’égalité devant la loi et s’en est donc abstenu.
  • Aussi mauvaise soit-elle, LA LOI RESTE LA LOI et penser autrement constituerait à n’en pas douter un dangereux précédent pour modifier ou réduire la portée de tout texte qui paraîtrait contraire à certains intérêts.
  • Enfin, et non des moindres, le texte de loi en question est inclus dans le titre premier de la loi du 6 Juillet 1989 qui est D’ORDRE PUBLIC.
  • On mesure parfaitement, à la lumière de l’exégèse de l’avis émis par LE CRIDON la difficulté qu’elle soulève en termes de responsabilité pour les Huissiers de Justice dans le cadre d’un congé en pareille hypothèse.

En effet, soit on privilégie la prudence en respectant la lettre du texte embrassant toutes les hypothèses d’acquisition, restreignant ainsi (à tort ?) les droits du propriétaire accédant à titre gratuit ; soit on se range à la doctrine notariale au risque, pour un tel acquéreur, de voir son congé contesté par le locataire et la responsabilité de l’Huissier de Justice émetteur du tel congé engagée.

 

OJ