Lettre du Président de la Chambre Départementale des Huissiers de Justice de Paris en date du 06 juin 2013 

 La pratique des professionnels est souvent dictée par la prudence, et il est fréquent que les procédures d’exécution forcée se heurtent à l’organisation malicieuse et argumentée de certains débiteurs adeptes du contrat de circonstance.

Y allant de son imagination, c’est à qui aura fait donation de ses meubles a tel ou tel proche, cédé les dits meubles à tel ou tel mystérieux cocontractant … le tout scellé dans un contrat écrit, et pour faire « bon poids » enregistré aux services des impôts afin de lui donner date certaine et la respectabilité que confère immédiatement le sceau des services fiscaux.

L’apparence s’arrête là puisque les meubles ne quittent jamais le domicile du débiteur, qui là encore, pour parachever son œuvre d’imagination, rédige un contrat de mise à disposition, de location, de prêt à usage, ou que sais-je encore, afin d’expliquer que le donataire n’a pas pris possession du mobilier.

La Cour de cassation, dont l’arrêt du 10 octobre 2012 a suscité une dépêche AFP, va pour le moins compliquer l’existence de celui qui, pour échapper au règlement de ses dettes, n’entend pour autant pas se séparer du confort de son intérieur.

C’en est bel et bien fini, et pour organiser maintenant son insolvabilité mobilière, il faudra savoir se défaire de ses objets meublant et les faire effectivement déménager.

Adieu donc le confortable intérieur exclusivement garni de mobilier de prix … cédé à vil prix, ou donné un jour de générosité bien placée (mais pas assez pour s’exercer à l’endroit de son créancier).

Le débiteur qui souhaitera pouvoir opposer à son créancier un contrat gravé dans le marbre, devra également justifier de la lettre de voiture ayant accompagné le déménagement des meubles ! Encore que tout cela deviendra bien inutile puisque, précisément, son domicile ne recèlera plus que les objets insaisissables détaillés à l’article L112-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution.

L’arrêt de la Haute Juridiction est la victoire du bon sens et de la possession. Un meuble est censé appartenir à celui qui le détient, de sorte qu’en cas de saisie, les meubles qui auraient été donnés mais qui sont demeurés en place, seront considérés comme appartenant toujours au même propriétaire. Dans le cas d’espèce, un débiteur arguait que son mobilier n’était pas saisissable car ayant fait l’objet d’une donation à ses enfants. Cette argumentation a été balayée, et la réalité du don subordonnée au transfert matériel des biens et à la prise de possession par le donataire a prévalu.

Si les meubles ne sont pas transférés, ils appartiennent toujours au débiteur et sont saisissables, c’est l’article 2279 du Code civil qui le dit : en fait de meubles, la possession vaut titre. A dire vrai, rien ne prédit que la position de la Cour de cassation soit transposable à l’identique dans l’hypothèse ou c’est un contrat de vente, avec paiement du prix, qui est opposé par le débiteur. La présomption de l’article 2279 du Code civil viendra alors se frotter aux règles de l’article 1583 du Code civil, lequel, en effet, ne subordonne le transfert de propriété qu’à l’accord sur le prix et la chose, sans imposer livraison et prise de possession. Gageons néanmoins que la vigilance de la Cour de cassation va s’exercer quelque-soit le contrat opposé au créancier poursuivant, dès lors que les objets mobiliers prétendument sortis du patrimoine du débiteur demeurent en sa possession.